« Ras-le-bol fiscal », absence de dégressivité des impôts locaux, baisse des dotations globales de fonctionnement, le débat médiatique en France sur les enjeux budgétaires s’est beaucoup focalisé en 2015 sur les recettes. Mais d’autres nouveautés apparaissent avec la nouvelle vague des budgets participatifs en France. Sur les enjeux d’information mais aussi sur la participation aux choix budgétaires, un aperçu de ce que permet en 2016 le numérique.
Cycle "Concertation et numérique" à Marseille-Intervention de Gilles Pradeau-22 mars 2016 from Institut de la concertation on Vimeo.
1. Informer
Depuis une dizaine d’années, le mouvement d’ouverture des données a permis un débat plus transparent en permettant de trouver directement dans les données des administrations locales des ressources inaccessibles ou illisibles auparavant. En Grande-Bretagne, ce mouvement est né en même temps que celui sur les politiques d’austérité. Lors de son premier mandat, David Cameron avait ainsi promis aux citoyens de rendre la publication obligatoire de toutes les données financières pour comparer le prix des services rendus entre les villes et pouvoir demander des comptes. En France, ce mouvement, qui est encore balbutiant, permettrait l’accès à des informations auxquelles seules les cours des comptes régionales avaient droit.
Il y a plusieurs paramètres pour aider à une meilleure compréhension des choix politiques. Au delà des questions de littératie numérique, l’accès à des tableaux de données directement utilisables pour des calculs reste difficile malgré une loi depuis plusieurs années empêchant théoriquement que des documents budgétaires.
Différentes visualisations sont possibles avec ici un exemple commenté d’OpenSpending :
À Philadelphie, l’évolution d’une année sur l’autre est visible.
D’autres outils comme The Open Budget remplissent cette fonction en Australie mais d’autres aussi, comme la décomposition dans chaque politique.
D’autres formes permettent aussi de relier les dépenses aux recettes comme ici pour la ville d’Oakland.
Enfin de nouveaux services apparaissent pour les villes afin de les aider à passer le cap de la visualisation d’un grand ensemble de données, qu’elles soient financières ou sur d’autres thématiques. C’est le cas avec Socrata aux États-Unis avec la ville de Baton Rouge par exemple.
Un exemple français est la ville d’Issy-les-Moulineaux qui, avec l’appui technique d’OpenDataSoft, rend accessible ses données budgétaires comme par exemple les dépenses d’investissements.
Dans un but militant, l’initiative d’un collectif de Nogent interpelle à la suite d’une polémique sur les nouveaux choix politiques, notamment la baisse d’une subvention pour l’association des Restos du coeur, tandis que le club de rugby voyait son soutien augmenté. Les services n’ont pas mis leurs données en libre accès sous une forme directement utilisables des subventions et c’est le collectif qui a extrait de documents PDF les chiffres des subventions de 2014 pour offrir une interface interactive permettant de suivre d’une année sur l’autre les évolutions des subventions.
2. Consulter
À chemin entre la pédagogie et la participation se trouve une multitude d’outils pour faire prendre conscience aux citoyens des difficultés pour une collectivité de joindre les deux bouts.
Dans un contexte de restriction budgétaire qui se prolonge depuis les crises financières de 2008, de nombreuses collectivités anglo-saxonnes ont préféré ouvrir le débat avec leurs contribuables pour décider ensemble des coupes budgétaires. Qu’il s’agisse de rendre ces coupes moins contestables ou de faire la chasse au gaspi, l’inventivité des sites s’est transformée en bénéficiant des progrès sur l’interaction permis par les nouveaux standards web. Progressivement ces sites sont passés du questionnaire (dont les réponses ne sont pas toujours visibles) à de vrais outils de simulation budgétaire.
La forme la plus basique reste le questionnaire dont les réponses ne sont connues que des services municipaux, rendant impossible le débat en ligne sur les options recueillies. Brighton a lancé début 2016 un concours d’idée City Innovation Challenge avec 5 prix de 1000 livres sterling pour les meilleures idées qui peuvent « économiser de l’argent, apporter une plus-value à votre voisinage ou votre quartier, ou des manières de générer des revenus pour des services ».
On trouve par ailleurs de nombreux outils en langue anglaise, parfois appelés « budget participatif ». Le but affiché de ces outils est simple : simuler les choix drastiques pour baisser les impôts locaux tout en maintenant les services publics essentiels à la population. Le choix des salaires des employés municipaux, leurs prestations sociales, les investissements, les recettes sont autant de rubriques dans lequel une dizaine d’options sont proposées pour équilibrer le budget dans You choose, qui a été utilisé à Lewisham en 2014. C’est par exemple réduire les heures d’ouvertures de certains services ou augmenter les frais des crèches.
C’est une forme de consultation qui a été aussi utilisée pour d’autres échelles : en Afrique du Sud, le parlement s’est associé en février 2016 à Code4SouthAfrica, pour permettre de donner un avis sur des propositions d’augmentations ou de baisses à inclure dans le budget national.
Budget simulator a l’avantage de pouvoir moduler les choix dans différents domaines d’actions. Sous la forme d’un curseur, on peut choisir d’augmenter ou de réduire l’attribution de ressources budgétaires à certains programmes.
Les avantages de l’interface pédagogique est de permettre de considérer différentes options. Le problème de ce cadre totalement consultatif est de pouvoir faire une synthèse intelligente de toutes les contributions sans un débat collectif sur les besoins derrière les choix.
The Cardiff Debate est une autre initiative en 2014 qui ne cherche pas à simuler l’impact des économies, mais laisse ouvert aux citoyens les suggestions d’économies possibles sur le territoire. Adopter d’autres processus plus économes en énergie ou en ressources humaines.
L’intérêt de la démarche est de simplifier les suggestions en permettant un débat sur chacune des suggestions.
3. Décider
C’est au Brésil qu’on retrouve les premières expériences d’utilisation du numérique pour toucher un autre public, moins mobilisé par les réunions publiques. Le cas le plus étudié a été celui de Belo Horizonte dès 2006, notamment par les travaux de Tiago Peixoto sur les forums internet en amont des décisions. En 2008, dans cette ville de 1,7 millions de personnes sur les listes électorales, 113 383 votants uniques, ce qui correspond à 8 % des inscrits sur les listes électorales, dont 90 % ont voté par internet. Ce qui en fait une des expériences les plus réussies de démocratie électronique. C’était possible parce qu’il y avait un enjeu important aux yeux des habitants et parce que la fraude était rendu difficile par tout un système de codes individuels.
Le numérique peut jouer un rôle important dans 4 grandes phases du budget participatif :
- le dépôt des idées/projets et leur discussion
- l’instruction des projets en permettant la collaboration entre les services municipaux
- le vote des projets prioritaires
- le suivi des projets vainqueurs
Le dépôt des projets est la partie la plus simple à organiser en ligne. Cela peut commencer de manière simple avec la communication d’une adresse courriel pour envoyer ses propositions. C’est notamment le cas de Leith en Écosse. Ensuite une réunion publique peut être organisée pour présenter les projets et organiser dans la foulée le vote le jour même. De l’autre côté du spectre, il y a l’exemple de Shareabouts utilisé comme outil de cartographie collaborative des projets à New York (États-Unis). L’interface permet de commenter les projets même si les projets semblent peu évoluer en fonction des commentaires.
Certains sites peuvent paraître plutôt austères comme à Lisbonne où il est difficile de parcourir les centaines de projets déposés.
Les applications cartographiques n’ont pas encore inspiré les sites des budgets participatifs francophones qui ont eux aussi plutôt développé des listes de projets qu’on peut classer par quartier ou par thématique. Dans le cas de Grenoble, avec l’interface Nous Rassemble qui avait été choisie en 2015 pour recueillir les projets :
Selon les voeux de la municipalité, l’interface ne permettait pas d’autres interactions comme les commentaires.
Dans l’interface développée pour Rennes, adaptée de Parlement et citoyens, fonctionne elle aussi sur les listes, les projets peuvent être commentés et classés ensuite selon leur éligibilité.
La collaboration reste encore assez faible pour coconstruire les projets car aucune règle ne vient favoriser la collaboration. C’est beaucoup plus simple de vouloir ajouter son idée de projet plutôt que de parcourir les idées existantes pour y apporter une solution. À Paris cependant, en 2016, il était possible de manifester son intérêt pour le projet plutôt que de déposer une idée similaire.
Certains sites proposent des manières de hiérarchiser les projets et de structurer les idées pour ou contre le projet. C’est utile pour l’aide à la décision durant le vote.
En Islande, à Reykjavik, l’interface Your Priorities est utilisée pour permettre le vote, ce qui est l’une des facultés les plus utilisées pour accroitre le nombre de votants.
À Montreuil, le vote se fait uniquement via le site internet qui demande de classer ses 3 projets préférés parmi la liste des projets dans son secteur. Cette méthode oblige de lire les projets et empêche de ce fait les mobilisations en faveur d’un seul projet.
D’autres méthodes existent comme c’est expliqué ici. Citons parmi d’autres D21 qui demande de voter en même temps pour deux projets et contre un projet.
Enfin le numérique est utilisé pour communiquer et suivre les travaux réalisés. C’est le cas à Cascais (Portugal) par exemple en précisant le coût final et le degré de réalisation des projets (finis/en cours).
À Paris, on trouve déjà ce système de suivi qui n’inclut plus la possibilité de commenter ou de poser des questions dans le cas où on aurait le souhait de s’engager dans la mise en oeuvre du projet.